THÉOPHANE
VENARD
missionnaire et martyr
(1820-1861)
« Nous sommes tous des
fleurs plantées sur cette terre, et que Dieu cueille en son temps, un peu plus
tôt, un peu plus tard. Autre est la rose empourprée, autre est le lys virginal,
autre l'humble violette. Tâchons tous de plaire, selon le parfum ou l'éclat qui
nous sont donnés, au souverain Seigneur et Maître ». (Ste Thérèse)
SA VIE —
SES ADIEUX —
SA MORT
Né
le 21 novembre 1820, au diocèse de
Poitiers, Jean Théophane se dirigea vers le sacerdoce. Le désir de la vie
missionnaire mûrit en lui, et aussi celui du martyre qui, chez un être dont on
nous dit l'équilibre et la gaieté, ne pouvait être qu'inspire par l'Esprit
Saint. Il écrira plus tard, après des épreuves: « Du courage dans la vie ! Vive
la joie quand même ! » Tout jeune, il s'était écrié, après avoir lu les Annales
de la propagation de la foi : « Moi aussi, je veux aller au Tonkin et y être
martyrisé ! »
Il fut exaucé : il entra au séminaire de la
Société des Missions Étrangères de Paris et, après son ordination sacerdotale,
embarqua pour le Tonkin, où il arriva en juillet 1854. Ce pays de mission
connaissait alors des périodes de persécution, en dépit d'une christianisation
florissante et de l'existence, déjà, de prêtres autochtones. Après une période
de calme relatif, la persécution reprit. Des collèges dirigés par les Pères
furent détruits. Commença alors pour les missionnaires la vie des
« catacombes ». Théophane et ses compagnons continuèrent néanmoins leur travail
apostolique.
Mais le 30 novembre 1860, après huit années de
cet apostolat clandestin, le Père Théophane fut arrêté. Enfermé dans une cage et
conduit à Hanoï, il fut traduit devant un tribunal. On lui proposa la vie sauve
s'il foulait aux pieds un crucifix en signe d'abjuration. Devant son refus, on
le condamna à mort.
La sentence ne fut exécutée que plusieurs mois
plus tard. Durant ce temps il resta détenu dans sa cage. Il y écrivit des
lettres à sa famille.
Théophane fut décapité le 2 février 1861,
sur les bords du fleuve Rouge. Il mourut en chantant le Magnificat. Il avait
trente et un ans.
SES ADIEUX
(lettres du 20 janvier
1861)
A sa soeur Mélanie :
« Et toi, chère Soeur, je te laisse dans le
champ des vertus et des bonnes oeuvres. Moissonne de nombreux mérites pour la
vie éternelle qui nous attend tous deux. Moissonne la foi, l'espérance, la
charité, la patience, la douceur, la persévérance... »
A son frère Henri :
« Peut-être ton esprit a-t-il suivit le courant
des idées mondaines et cherché, avec de faux amis, le bonheur là où le bonheur
n'es pas. Le coeur de l'homme est trop grand pour que les joies factices et
passagères d'ici-bas le satisfassent. N'use pas ta vie dans les inutilités du
monde. Sois donc un homme. Résister aux penchants de la chair et l'asservir à
l'esprit, se tenir en garde contre les pièges du démon et les prestiges du
monde, observer les préceptes de la religion, voilà être un homme. Ne pas faire
cela c'est être une bête ».
A son frère Eusèbe :
« Toi, cher frère, encore jeune d'années, tu
restes après moi sur la mer de ce monde, naviguant au milieu des écueils.
Conduis bien ton navire. Que la prudence soit ton gouvernail, l'humilité ton
lest, Dieu ta boussole, Marie Immaculée ton ancre d'espérance. Et malgré les
dégoûts et les amertumes qui, comme une mer houleuse, inonderont ton âme, ne
laisse jamais submerger ton courage ; mais comme l'arche de Noé, surnage sur les
grandes eaux... »
La sentence de mort prononcée par l'empereur
Tu-Duc, parvint à Hanoï à l'aube de la Chandeleur, le 2 février 1861. La fête,
cette année-là, tombait un samedi, et plusieurs fois déjà, le samedi, un prêtre
vietnamien avait fait porter au captif une custode garnie d'une hostie
consacrée, par l'intermédiaire d'une chrétienne, Anna Xin.
L'occasion en était facile, car à l'époque, au
Viet-Nam, c'est aux familles qu'il revenait de nourrir les prisonniers. Une
pieuse veuve, Anna Nghiem, s'était offerte pour prendre soin du missionnaires.
Quand arriva l'ordre fatal, un garde chrétien,
Dominique, se trouvait de faction. Il prévint aussitôt les catéchistes qui
partageaient la captivité du P. Vénard, et ceux-ci réussirent à informer
l'intéressé. Mais dès qu'il le put, Dominique courut aussi chez Anna Nghiem et
fit acheter un cercueil. Anna vint à la hâte, apportant le costume neuf préparé
spécialement. Pour célébrer les noces éternelles, Théophane avait tenu à revêtir
des vêtements de fête, ceux du pays. Il avait compté sans le bourreau qui ne lui
laissera qu'un pantalon.
Entre-temps on lui avait servi son dernier
repas, que l'usage voulait copieux. Il prit seulement quelques gâteaux, avec un
doigt de vin.
Les préparatifs avançaient. Les éléphants des
mandarins attendaient déjà à la porte du palais et deux cents gardes entouraient
la cage du prisonnier quand arriva Anna Xin, munie du Saint Sacrement. La
présence de tous ces militaires lui fit perdre son sang-froid. Elle alla droit
au barreaux remettre la custode au captif. Mais son geste fut arrêté. On cria au
poison, car les païens s'en faisaient parfois donner pour prévenir un supplice
douloureux.
Les gardes s'emparèrent de la petite boîte et
la remirent à leur chef. Mais Anna Nghiem veillait. Elle menaça l'officier et
toute sa famille des pires châtiments du ciel s'il ne lui rendait immédiatement
l'objet sacré. Elle eut gain de cause, mais il ne pouvait plus être question
pour le condamné de recevoir son viatique.
Les mandarins firent une entrée solennelle dans
le prétoire et le greffier lut la sentence, sur laquelle le P. Vénard put faire
quelques réflexions, en particulier qu'il n'était pas venu prêcher une religion
fausse.
Comme il ajouta que ses juges paraîtraient à
leur tour devant le tribunal du Seigneur du ciel, ceux-ci le supplièrent de ne
pas revenir, après sa mort, se venger sur eux, ce qu'il promit de bonne grâce.
Le cortège se mit en route, et bientôt se
rangea sur les bords du fleuve Rouge, assez proche. Déjà Anna Nghiem et Anna Xin
avaient déroulé les nattes qu'elles avaient apportées, pour que le condamné ne
fût pas exécuté à même le sol. Mais voici que s'élèvent des protestations,
d'abord timides, puis soutenues et hardies. Les gens du voisinage exigent que
l'exécution ait lieu plus loin, de peur qu'il ne leur arrive malheur. Le grand
mandarin cède et le cortège reprend sa route vers une partie déserte de la
berge.
Le bourreau s'était enivré. Il fut maladroit.
Après quatre coups de sabre il n'avait pas encore coupé la tête. Finalement, il
la brandit, avant qu'elle ne fut exposée trois jours, puis jetée au fleuve. Les
chrétiens ensevelirent le corps avec piété et furent assez heureux pour repêcher
la tête, onze jours après son immersion.
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