Marie-Anne de Rocher
Sœur Marie-des-Anges.
Religieuse ursuline de Bollène.
La soeur Marie-des-Anges qui devait le 9 juillet recevoir la
couronne en même temps que Sœur Sainte-Mélanie, appartenait comme elle au
couvent de Sainte-Ursule de Bollène, où elle avait fait profession le 21
septembre 1772.
Fille de Louis-François de Rocher et de Marie-Anne de Combe,
elle était, lors de son entrée au monastère, dans sa seizième année. Il n'est
guère permis de douter que les leçons et les exemples d'un père et d'une mère si
parfaitement chrétiens n'aient doucement orienté sa vie vers le cloître, et ne
lui aient mérité la grâce d'une si sainte vocation. La vie d'une religieuse dans
son monastère ne se raconte pas. Elle demeure le secret de Dieu et de l'âme qui
s'est donnée à lui. Ce que le monde en aperçoit sans en comprendre toujours la
grandeur, c'est une succession uniforme de pratiques de piété, d'observances
plus ou moins austères, une monotonie de pénitences et de prières, qui n'offrent
aucune prise à la curiosité, mais que Dieu anime de son esprit et de son
inépuisable suavité. 0 quam suavis est spiritus tuus, Domine !
La vie de Marie-Anne-Marguerite de Rocher au couvent de
Sainte-Ursule fut donc ignorée du monde, et l'histoire, trop souvent occupée de
plus futiles choses, n'en a pas gardé la trace. Les souvenirs de famille sont
cependant unanimes à affirmer que Sœur Marie-des-Anges, au cours des vingt ans
de sa profession religieuse, fut bien souvent le conseil écouté de ses
compagnes, et qu'elle en était très considérée et très aimée.
Au mois d'octobre 1792, elle dut, comme ses sœurs, sortir de
son couvent. L'âge très avancé de son vénérable père, dont la quatre-vingtième
année venait de sonner, lui faisait un devoir de se rendre auprès de lui, et
d'en adoucir, par sa présence et par ses soins, les derniers jours terrestres.
Alors que ses compagnes recommençaient dans une maison de fortune, leur vie de
communauté, Sœur Marie-des-Anges rentrait donc dans sa famille pour y remplir
son devoir de piété filiale.
Elle n'y demeura pas longtemps. Les événements se
précipitaient. Voyant approcher le moment où ses compagnes allaient être mises
en état d'arrestation, et comprenant que le même danger la menaçait elle-même,
cette sainte fille, après avoir été si souvent la lumière des autres, demanda
conseil à son père, et s'informa auprès de lui si, en conscience, elle pouvait
se dérober au péril. Le vieillard héroïque lui répondit aussitôt par ces paroles
admirables : « Ma fille, il me serait sans doute bien facile de vous sauver la
vie, et il ne vous serait pas difficile de vous cacher ; mais examinez, au
préalable, devant Dieu, si vous ne vous écartez pas de Ses desseins adorables.
Dans le cas où Il vous aurait destinée à être une des victimes qui doivent
apaiser Sa colère, je vous dirai comme Mardochée à Esther : «Vous n'êtes pas sur
le trône pour vous, mais pour votre peuple ».
Ce conseil, si étranger à la courte prudence humaine, et si
manifestement inspiré par l'Esprit de Dieu, fut un trait de lumière pour cette
sainte fille. Elle était digne de le comprendre, et capable de le suivre. Sans
tarder, elle rejoignit les autre religieuses, fut arrêtée avec elles, et
conduite le 2 mai suivant dans la prison de la Cure à Orange.
Son vénérable père l'avait précédée en prison. Son grand âge,
en effet, ne l'avait pas sauvé de la méchanceté des ennemis de la Foi. Depuis le
7 avril il était incarcéré à la Baronne. Puis, comme si la Providence ne voulait
pas séparer dans l'épreuve une famille si généreuse à la servir, la mère de Sœur
Marie-des-Anges vint la rejoindre, avec sa sœur Marie-Françoise, le 29 juin.
Ensemble elles passèrent les dix jours qui restaient à vivre à Marie-Anne, dans
les entretiens affectueux, les prières, et des larmes dont leur mutuelle
tendresse tempéraient l'amertume.
Car ces quelques jours furent, pour la saint ursuline, une
véritable préparation prochaine à la mort. La pensée du martyre qui ne la
quittait pas transportait son âme de joie à tel point qu'on l'entendit à
plusieurs reprises murmurer comme dans un ravissement : « Oh ! que c'est beau...
que c'est beau ! » Elle en parlait souvent, et Dieu voulut sans doute
récompenser de si héroïques désirs, en lui faisant connaître intérieurement le
jour où son sacrifice serait consommé.
Le 8 juillet, en effet, au moment de la prière du soir, elle
demanda pardon à ses compagnes, et se recommanda très instamment à leurs
prières, parce que, disait-elle, le lendemain elle serait immolée.
Traduite le 9 juillet devant la Commission populaire, comme
religieuse ursuline du couvent de Bollène, insermentée, elle se vit accuser
encore de s'être munie du signe de ralliement de la Vendée. C'est de l'image du
Sacré-Cœur de Jésus que Sœur Marie-des-Anges portait constamment sur elle, et
bien avant que la Vendée se soulevât, que l'accusateur public voulait parler,
feignant ainsi de croire à la complicité d'une pauvre religieuse de Bollène avec
les troupes vendéennes ! Le vrai motif de sa condamnation était sa fidélité à
ses vœux, et son attachement à sa foi.
Une tradition pieusement conservée dans la famille de la sœur
Marie-Anne de Rocher rapporte qu'au prononcé du jugement, elle remercia ses
juges en disant « qu'elle leur avait bien plus d'obligation qu'à, ses parents,
puisque ceux-ci lui avaient transmis seulement la vie naturelle et périssable de
ce monde, tandis qu'eux allaient lui procurer la vie éternelle ».
Sœur Marie-des-Anges fut immolée après sa compagne Sœur
Sainte-Mélanie. Elle était âgée de 39 ans.
Abbé Méritan

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