Henriette
Faurie
Sœur Marie-de-l'Annonciation
Religieuse sacramentine de Bollène.
Thérèse Henriette Faurie était comme Élisabeth Verchière une
toute jeune professe. Née en 1770, le 9 février de Jean-César Faurie, officier
de santé, et de Françoise-Anne Astier. Ses parents habitaient Sérignan, près
d'Orange, où son père depuis quelques années déjà exerçait sa profession.
À dix-huit ans, le 22 mai 1788, elle entrait chez les
Sacramentines de Bollène. Six mois après, le 13 novembre, elle recevait l'habit
religieux des mains de l'abbé Afforty, vicaire général de Mgr de Lambert, évêque
de Saint-Paul-Trois-Châteaux. La baronne de Chaseau, le doyen de la collégiale,
et le curé de Piolenc assistaient à sa vêture. L'année suivante, le 7 novembre,
elle prononçait ses vœux de religion. Sa sœur, Félicité, qui devait être si
intimement mêlée aux événements qui marquèrent les derniers jours de Henriette,
assistait à la cérémonie, avec son père que nous retrouverons au cours de cette
brève biographie, et plusieurs autres de ses parents.
Sœur Marie-de-l'Annonciation — tel était le nom qu'elle avait
reçu au jour de sa vêture — était la plus jeune des sœurs qui composaient alors
la communauté de Bollène. D'un naturel très doux, d'une piété affectueuse, d'une
charité toujours aimable, la jeune sacramentine fut bientôt, malgré sa jeunesse,
très estimée de ses compagnes. Cette douceur et cette bienveillance n'enlevaient
rien, d'ailleurs, à sa fermeté et à son courage. Elle allait sans tarder trouver
l'occasion de les révéler et de montrer au monde que le cœur où Dieu réside est
une citadelle imprenable.
Trois ans ne s'étaient pas encore tout à fait écoulés depuis
le jour de sa profession, quand le couvent du Saint-Sacrement fut fermé, et les
religieuses dispersées. Henriette Faurie suivit ses compagnes dans leur retraite
et partagea, pendant dix-huit mois, leur vie de privations et de travail. Elle
aussi, au chaud refuge que lui offrait la maison paternelle préféra
l'incertitude du lendemain, et la trop certaine insécurité du jour présent.
Tandis qu'elle reprenait sa vie de sacramentine un moment
interrompue, la désolation était au foyer. D'une famille de huit personnes,
tendrement unies, il restait seulement la mère et les deux sœurs de Henriette.
Les trois frères : Jean-Marie, Roch-André et Étienne-Bénézet étaient partis pour
l'armée ; et le père, César Faurie, bientôt inscrit sur la liste des suspects,
avait été, au milieu des sanglots de sa femme et de ses filles, arrêté et
incarcéré à Orange, à la prison des Dames. La mère resta donc seule à la maison,
avec Félicité âgée pour lors de 23 ans et la petite Madeleine qui accomplissait
sa dixième année.
Cette famille, profondément chrétienne, était une famille de
vaillants, et les enfants vite mûris à l'école du malheur étaient bientôt
capables de comprendre et de suivre les exemples de courage dont ils étaient les
témoins. Les souvenirs recueillis à l'occasion de la béatification de Sœur
Marie-de-l'Assomption attribuent à la jeune Madeleine le fait suivant.
Le lendemain de l'incarcération de César Faurie, une enfant
se présentait au guichet de la prison, un panier à la main et s'adressant au
geôlier : « Le citoyen Faurie, dit-elle. Je désire le voir. — Et qui es-tu, ma
belle enfant ? — Je suis sa fille Madeleine. J'ai dans mon panier des provisions
que je lui apporte. — Ton père est au secret. Tu ne peux pas le voir. Laisse-là
tes provisions : je les lui remettrai. — Merci. Dites à mon père que tous les
jours je lui apporterai des provisions, jusqu'à ce qu'on nous le rende : car on
nous le rendra, n'est-ce pas ? Il n'a rien fait de mal. N'est-ce pas qu'on nous
le rendra ? » Le geôlier ne répondit pas. Mais tous les jours, désormais, on put
voir sur la route de Sérignan à Orange, Madeleine, parfois accompagnée de sa
sœur, se hâter, un panier au bras, vers la prison où son père attendait sa
délivrance ou la mort.
Henriette apprit à Bollène les malheurs de sa famille. Elle
quitta aussitôt la communauté et accourut à Sérignan, pour consoler sa mère.
Elle arriva vers le soir. La mère et les deux filles faisaient leur prière.
Henriette frappe à la porte. Madeleine se lève : « Qui est-ce ? dit-elle. —
C'est moi, Henriette, ouvre vite ». Quelques instants après, elle était dans les
bras de sa mère.
Elle savait bien, et elle le dit aussitôt aux êtres qui lui
étaient si chers, que son séjour à Sérignan ne serait pas de longue durée. Elle
n'y était pas venue d'ailleurs, pour fuir la persécution, mais pour y accomplir
un devoir de piété filiale, n'ignorant pas que son refus du serment devait la
conduire à la prison et à la mort, mais dédaignant de se cacher et de fuir
l'épreuve qu'elle pressentait.
« Écoutez bien ma mère, écoute, Madeleine. Notre couvent est
fermé, nos sœurs sont dispersées. Hier on a voulu me faire prêter serment, j'ai
refusé. Je sais le sort qui m'attend. Que la volonté de Dieu soit faite ! »
Le 2 mars 1794, la municipalité de Sérignan, sur les
objurgations de l'agent national, convoqua à la maison commune Henriette Faurie.
Elle y vint accompagnée de Suzanne Deloye et d'Andrée Minutte. Le maire les
invite puis leur ordonne de se conformer à la loi. L'une après l'autre elles
refusent énergiquement. Sept jours après même tentative et même refus. Dans
l'intervalle, Henriette avait eu à subir l'assaut de la tendresse paternelle.
César Faurie incarcéré une première fois, puis mis en liberté (sans doute pour
faire pression sur la volonté de sa fille) vint en effet, déclarer qu'il avait
vainement employé à son égard les exhortations et les prières. Bien mieux
encore: reprenant une tâche jusqu'alors sans espoir de succès, il interpella la
courageuse enfant, la suppliant de se rendre à ses désirs et d'avoir pitié de
ses larmes. En deux mots la délibération de la municipalité nous a raconté
l'issue de cette lutte : « Elle a refusé constamment alléguant le cri de sa
conscience qui l'en empêchait ».
Quelques semaines après, le 10 mai, le Comité de Sérignan
décernait contre elle un mandat d'arrêt. Même à cette heure, la fuite était
encore possible. Sa mère et ses sœurs la pressaient de se dérober au danger.
« Non, dit-elle, mes compagnes sont en prison : mon devoir est d'y aller avec
elles ». Et elle attendit. Elle n'attendit pas longtemps. Le lendemain elle
était assise devant la porte de sa maison, quand un agent de la municipalité se
présenta devant elle. « C'est toi, lui dit-il, qui t'appelles Henriette Faurie ?
— Oui, c'est moi. — Tu étais religieuse à Bollène ? Oui.— Où est ton père ? —
Vous savez bien qu'il est en prison à Orange. — Et tes frères ? — Ils sont
soldats de la République. — Ton père est un aristocrate ; tes frères aimeraient
mieux se battre avec les chouans. Toi tu conspires au moyen de tes singeries.
Nous avons ordre de t'arrêter. Suis-nous ».
Sans rien dire, Henriette se lève et se dispose à suivre avec
le calme et la sérénité des belles âmes, ceux qui viennent pour l'emmener. Mais
autour d'elle on pleure. Ses sœurs sanglotent. « Ne pleurez plus, leur dit-elle.
S'il faut savoir vivre pour Dieu, il faut aussi savoir mourir pour Lui. Adieu,
priez pour moi, et consolez notre mère ! »
Elle fut aussitôt entraînée et conduite à Orange avec la sœur
Suzanne Deloye, religieuse bénédictine de Caderousse, originaire de Sérignan où
elle s'était réfugiée après la fermeture de son couvent, et la sœur Andrée
Minutte dont nous retracerons bientôt la vie. Ce fut, d'ailleurs, comme nous
l'avons dit, le domestique d'Alexis Deloye qui fut contraint à les conduire sur
la même charrette à Orange. Le soir de ce jour, Sœur Marie-de-l'Annonciation
retrouvait ses compagnes emprisonnées depuis huit jours, et embrassait avec joie
la vie pieuse et régulière qu'elles avaient inaugurée dès leur incarcération.
La captivité de notre vaillante martyre dura deux mois,
pendant lesquels ses sœurs vinrent fidèlement, l'une ou l'autre ou parfois
toutes les deux apporter, à leur sœur et à leur père le réconfort de leur
tendresse. Félicité Faurie ne pouvait comprendre qu'on put déclarer coupable son
héroïque sœur, son père si bon. Mais Henriette, plus éclairée et plus avertie,
ne se permettait aucune illusion. Elle savait que Dieu lui demanderait bientôt
le sacrifice de sa vie. Chaque jour quelqu'une de ses compagnes la quittait pour
ne plus la revoir ici-bas. Chaque jour Henriette se préparait à l'immolation que
ses devancières consommaient joyeusement.
Enfin le 25 messidor (13 juillet) à l'appel de neuf heures,
son nom est prononcé avec celui de cinq autres religieuses : Anastasie de
Roquard, Marie-Anne Lambert, Marie-Anne de Peyre, Élisabeth Verchière et Andrée
Minutte. Henriette comprend que le moment du sacrifice est venu : mais sa foi le
lui montre comme l'heure si désirée du triomphe et de la gloire ! « Courage, mes
sœurs, s'écrie-t-elle, voici le moment du triomphe ! »
Une âme aussi intrépide ne pouvait qu'être héroïque devant
ses juges. Henriette le fut, en effet, et chacune de ses réponses fut marquée du
plus admirable et du plus tranquille courage. Touché de son jeune âge, le
président Fauvéty essaya de fléchir son étonnante fermeté. Ainsi, autrefois,
sous les Néron et les Dioclétien, quelque proconsul ou quelque préfet, ému de la
jeunesse d'une vierge, essayait-il vainement de la faire adorer les idoles.
« Allons Henriette, prête serment, tu es encore si jeune !
Pourquoi vouloir si tôt mourir ? Prête serment et tu retourneras près de ta
mère ! — J'ai fait serment à Dieu, répondit la martyre, je n'en prêterai pas
d'autre ! » Et se tournant alors vers ses compagnes dont quelques-unes étaient
déjà condamnées : « Courage, répéta-t-elle, les portes du ciel vont s'ouvrir
pour nous ! »
La sentence capitale fut donc prononcée. Mais Dieu voulut
qu'à cette heure où les angoisses et les ténèbres de la mort remplissent les
âmes les plus vaillantes, le courage de sa jeune épouse parût en tout son éclat.
Tirant, en effet, de sa poche une poire qu'elle avait conservée du souper de la
veille, elle la partagea en six morceaux qu'elle distribua à ses compagnes. Ce
fut leur dernier repas.
À 6 heures du soir, les six religieuses, et cinq autres
détenus condamnés dans la même séance furent conduits à l'échafaud. Mais ce
n'était pas l'abattement et la stupeur de la dernière heure qu'on lisait sur le
visage des martyres. La foule les vit venir comme un cortège de noces, chantant
les Litanies de la Sainte Vierge ! Ce chant attira l'attention des prisonniers
détenus à la prison des Dames, rue de Tourre que les condamnés suivaient en
allant à la mort. Ils se précipitèrent aux fenêtres. Mais, soudain, l'un d'eux
jetant un grand cri, tomba évanoui. C'était César Faurie qui venait de
reconnaître sa fille marchant au supplice !
Henriette et ses compagnes étaient parvenues au bas de
l'échafaud, quand une religieuse se rappelant qu'elle n'avait pas dit son office
en entier s'écria : « Mon Dieu ! nous n'avons pas fini nos vêpres ! — Eh bien !
répond Henriette, nous les achèverons au Paradis ! »
Quelques minutes après, elle y montait. Mais avant de livrer
sa tête au bourreau, elle put apercevoir sa sœur Madeleine, accourue de Sérignan,
comme tous les jours, qui fendait la foule, en l'appelant de toute son âme, sa
sœur chérie : « Henriette... Henriette ! » La martyre sourit une dernière fois,
puis levant les yeux au ciel : « Adieu, Madeleine, dit-elle. Embrasse notre
mère. Au revoir où je vais t'attends ». Et elle consomma son sacrifice. Elle
avait 24 ans et 5 mois.
Abbé Méritan
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