François
Libermann
(1802-1852)
Libermann est une figure dominante dans la Congrégation du
Saint-Esprit, pour sa spiritualité, pour son projet missionnaire.
L'enfance et les études
Jacob
Libermann naquit à Saverne le 11 avril 1802, cinquième enfant sur neuf, de
Lazare Libermann, le rabbin de la ville.
Délicat et frêle, craintif et
nerveux, docile et doux, doué d'une intelligence prompte et juste, d'esprit
pratique et de volonté persévérante, il fut, d'après de nombreux témoignages, le
préféré de son père, qui songeait à lui laisser, après lui, sa charge.
Poursuivant ses études près de son père, Jacob demeura jusqu'à la vingtième
année un israélite croyant, pratiquant, menant une vie vertueuse, bien que déjà,
il soit choqué de certaines sévérités des rabbins.
En 1824, son père l'autorisa à
poursuivre ses études à Metz, où il y avait une École supérieure israélite. Il y
fut déçu par l'accueil des rabbins auxquels il s'adressa. Il pensa nécessaire,
en plus de ses études talmudiques, de cultiver les connaissances profanes,
c'est-à-dire, le français et le latin.
C'est au cours de ce séjour à Metz
qu'il apprit la conversion au catholicisme de son frère aîné Samson, baptisé
avec sa femme, le 15 mars 1824.
La conversion
Encore indécis, il se rendit à
Paris où, dans une cellule du collège Stanislas, il se trouva seul, en tête à
tête avec l'Histoire de la Doctrine chrétienne de Lhomond et un autre livre du
même auteur. Ce moment, a-t-il écrit, fut extrêmement pénible. C'est alors que,
me souvenant du Dieu de mes pères, je me jetai à genoux et le conjurai de
m'éclairer sur la véritable religion. Le Seigneur, qui est près de ceux qui
l'invoquent du fond de leur coeur, exauça ma prière. Tout aussitôt je fus
éclairé, je vis la vérité. La foi pénétra dans mon esprit et dans mon coeur.
Baptisé la veille de Noël 1826, il
prit le nom de François. Désirant devenir prêtre, il fut admis, en 1827, au
séminaire de Saint-Sulpice.
La maladie
C'est alors que se manifesta la
maladie qui devait l'éprouver pendant de longues années, l'épilepsie. Malgré les
premières crises, il fut admis à la tonsure et l'année 1828 se passa
relativement bien. Mais, à la fin de l'année 1829, alors qu'il se préparait au
sous-diaconat, il fut terrassé par une forte crise qui ne laissait aucun doute
sur la gravité de son état.
Il eut par la suite des périodes
de rémission et, avec le temps, il arrivera à prévoir les crises. Il apprit à se
soigner et à pratiquer vis-à-vis de sa chère maladie le calme, l'égalité d'âme,
en quelque sorte, le dédain de son mal, seule manière d'y apporter une
atténuation.
L'épilepsie l'empêchait d'accéder
à la prêtrise. Malgré cela, à cause de son influence bienfaisante sur les
séminaristes, on l'autorisa à rester dans la maison sulpicienne d'Issy. Il y
fut, pendant six ans, l'auxiliaire de l'économe de la maison. On lui confia
divers travaux matériels, ainsi que l'accueil des nouveaux et le soin spirituel
des domestiques. Dans ces tâches il fit preuve d'esprit pratique et se montra
diligent et inlassable. Son ascendant sur les séminaristes fut considérable.
En 1837, il se retrouva à Rennes,
assistant du maître des novices chez les Eudistes, mais il n'y resta que deux
ans.
L'œuvre des Noirs
A Issy et à Saint-Sulpice, à
partir de 1833, François Libermann avait eu de l'influence dans les bandes de
piété qui s'y étaient constituées. Deux membres de ces bandes, MM. Frédéric Le
Vavasseur et Eugène Tisserant, eurent ainsi l'occasion de lui faire part,
séparément, de leurs projets en faveur de l'évangélisation des esclaves noirs
dans les vieilles colonies françaises.
Les deux jeunes gens se
rencontrèrent, le 2 février 1839, à Notre-Dame des Victoires. C'est le curé, M.
Charles Desgenettes, qui leur fit prendre conscience de la similitude de leurs
préoccupations. Un troisième séminariste se joignit à eux, M. de la Brunière,
qui, plus tard, devait partir aux Missions Étrangères.
Libermann eut alors comme
l'intuition du rôle qu'il serait amené à jouer dans le projet de ces jeunes
gens. Ceux-ci lui demandèrent d'adapter à leur projet missionnaire la règle des
Eudistes.
La première étape était
l'approbation du Saint-Siège. En compagnie de M. de la Brunière, qui assurait
les frais du voyage, Libermann arriva à Rome en janvier 1840. Il y reçut l'aide
de M. David Drach (dit « le Chevalier Drach »), lui-même juif converti, que
François connaissait depuis sa conversion et qui était alors bibliothécaire à la
Propagande. Tous deux obtinrent du pape Grégoire XVI, une audience, le 17
février, ce que Libermann considéra comme un encouragement.
Le 11 mars, il présenta un mémoire
à la Propagande, mais il dut attendre jusqu'au 6 juin une réponse. On s'y
montrait favorable au projet de l'Oeuvre des Noirs, mais il fallait, lui
précisait-on, qu'il reçoive l'ordination sacerdotale.
Libermann resta encore quelques
mois à Rome. C'est alors qu'il mit au point définitivement la règle qu'il avait
déjà préparée à Rennes et qu'il composa son Commentaire sur l'Évangile de saint
Jean. En même temps, constatant que sa santé s'améliorait, il entreprit des
démarches auprès de l'évêché de Strasbourg, son diocèse d'origine, pour parvenir
au sacerdoce. Il obtint des assurances de Mgr Raess. Il quitta Rome le 8 janvier
1841 et entra au grand séminaire de Strasbourg le 23 février.
Le Noviciat de La Neuville
Pendant le séjour de Libermann au
séminaire de Strasbourg, M. Le Vavasseur engagea des pourparlers avec M. de
Brandt, ancien de Saint-Sulpice et neveu de Mgr Mioland, évêque d'Amiens.
Celui-ci proposa à la congrégation naissante, en location, une maison à La
Neuville, aujourd'hui un quartier d'Amiens.
Libermann avait été ordonné
diacre, à Strasbourg, le 10 août 1841. Aussitôt après, il se rendit à Amiens, où
il fut ordonné prêtre, par Mgr Mioland, le 18 septembre. Le samedi suivant, à
Paris, il célébra à Notre-Dame des Victoires, une messe, à laquelle assistaient
l'abbé Desgenettes et quelques confrères déjà enrôlés: MM. Le Vavasseur,
Tisserant et Collin, ainsi que quelques amis. Un jeune prêtre, venu du midi,
était aussi présent, l'abbé Bessieux qui, plus tard, sera l'apôtre du Gabon.
Le lundi 27 septembre 1841,
s'ouvrit le Noviciat de La Neuville, avec MM.
Libermann, Le Vavasseur et Collin. M. Tisserant, lui, était resté à Paris, d'où
il accomplit son noviciat à distance, ce qui était alors admis. Certains même,
comme le Père Jacques Laval, apôtre de l'île
Maurice, partirent en mission sans avoir fait un temps de noviciat. Un an plus
tard, les novices atteignaient la douzaine et on comptait sept prêtres parmi
eux.
En mars 1842, le Père Libermann
acheta, à l'évêché d'Amiens, la propriété de La Neuville et entreprit la
construction de deux ailes et d'une chapelle.
Le Vavasseur partit pour l'île
Bourbon (La Réunion) après quatre mois de noviciat. Tisserant, après quelques
semaines à La Neuville se rendit à la Martinique, en attendant une occasion pour
pénétrer en Haïti. Ainsi, un an à peine après les débuts de la nouvelle
congrégation, certains de ses membres les plus importants travaillaient déjà
dans leur champ d'apostolat.
Le vicariat des Deux-Guinées
Le 28 septembre 1842, le
Saint-Siège créait en Afrique l'immense vicariat apostolique des Deux-Guinées et
Sierra Leone, confié à Mgr Edward Barron, ancien vicaire général de Philadelphie
(Amérique du Nord). Cette vaste nouvelle mission s'étendait sur 8 000 kilomètres
de côtes, du Sénégal à l'Orange.
Par l'intermédiaire du curé de
Notre-Dame des Victoires, l'abbé Desgenettes, Mgr Barron entra au contact avec
le Père Libermann qui proposa au vicaire apostolique sept missionnaires. Il
prépara soigneusement leur départ. Il rassembla pour l'expédition vingt tonnes
d'approvisionnement et exigea des partants un entraînement physique, complétant
leur formation spirituelle: on alla jusqu'à des marches forcées de 70 kilomètres
en une journée.
Le 13 septembre 1843, les sept
prêtres, accompagnés de trois laïcs, dont un futur frère, quittaient Pauillac
pour l'Afrique. Un mois plus tard, ils parvinrent à Gorée pour une escale de
deux semaines. Un autre mois de navigation les amena, le 29 novembre 1843, au
Cap des Palmes, au Liberia, où Mgr Barron avait établi sa résidence; mais,
lui-même n'était pas là pour faciliter leurs débuts dans ce pays anglophone.
Le temps des épreuves
Les missionnaires se mirent avec
ardeur à l'étude de la langue locale. Totalement inexpérimentés, ils adoptèrent
un mode de vie avec un règlement strictement appliqué et une nourriture
volontairement frugale. Ces excès de zèle et la rigueur du climat produisirent
des effets dramatiques. En moins de deux semaines, sur les douze missionnaires,
sept tombèrent malades. A la fin du mois de décembre, deux d'entre eux
moururent.
Ils n'étaient plus que huit, en
mars 1844, au moment de l'arrivée de Mgr Barron. Celui-ci, laissant sur place le
Père Bessieux avec deux compagnons, emmena les autres à Grand Bassam, mais ils
succombèrent les uns après les autres et, en septembre 1844, Mgr Barron,
découragé devant ce désastre, rentra en Europe.
Au même moment, le Père Bessieux
et le Frère Grégoire, seuls survivants de cette malheureuse expédition, se
rendirent au Gabon. Ils s'installèrent à Libreville, qui devint ainsi la base
des futures avancées missionnaires en Afrique équatoriale.
Le temps des épreuves se prolongea
encore une dizaine d'années. Il fallut attendre 1854, après la mort de
Libermann, pour que la situation s'améliore, avec la nomination de deux vicaires
apostoliques: Mgr Jean-Rémi Bessieux et Mgr Aloys Kobès, qui, tous deux,
restèrent en fonction jusqu'aux environs des années 1870.
De 1843 à 1854, soixante-quinze
missionnaires avaient été envoyés en Afrique. Parmi eux quarante-deux étaient
morts prématurément ou avaient dû être rapatriés. En 1854, le vicariat des
Deux-Guinées comptait en activité deux évêques, quinze prêtres, neuf frères et
dix-neuf surs, répartis en cinq missions.
Noyon et Notre-Dame du Gard
En 1846, de mai à septembre, le
Père Libermann entreprit un long voyage à Rome et dans diverses régions de
France: il passa à Marseille, à Castres (chez les surs Bleues), à Bordeaux, à
Nantes, à Saint-Malo. À son retour, il acheta un immeuble, situé Faubourg-Noyon,
près d'Amiens, pour remplacer la maison de La Neuville, devenue trop petite pour
le noviciat.
Il lui fallait trouver aussi la
place pour recevoir les étudiants, philosophes et théologiens. L'occasion se
présenta alors d'acquérir l'abbaye de Notre-Dame du Gard,
où s'installèrent, dès les premiers jours de novembre, une trentaine de
scolastiques.
L'union de deux congrégations
Dès les débuts de la Congrégation
du Saint-Coeur de Marie il avait été question d'une possible union avec la
Congrégation du Saint-Esprit, mais cela ne s'était pas concrétisé.
En 1848, les circonstances
parurent favorables pour réaliser cette union. Quelques tractations et des
démarches à Rome aboutirent, le 28 septembre 1848, à l'approbation officielle de
la Propagande où, s'adressant aux deux supérieurs, il était précisé: Ils vous
appartient de mener à bien cette fusion de vos deux congrégations, de façon
telle que, dorénavant la Congrégation du Saint-Coeur de Marie cesse d'exister et
que ses membres et ses aspirants soient intégrés à la Congrégation du
Saint-Esprit.
Le supérieur des Spiritains, M.
Monnet, fut nommé vicaire apostolique de Madagascar et, le 3 novembre 1848, la
Propagande approuva l'élection, comme supérieur de la Congrégation du
Saint-Esprit, du Père Libermann. Celui-ci eut à faire preuve de patience et de
tact pour surmonter l'opposition de certains de ses confrères devant le nouvel
état des choses. Il profita des changements survenus pour réviser la Règle
provisoire qu'il avait rédigée quelque huit ans plus tôt.
Le clergé et les évêchés des colonies
La question la plus importante
qu'il eut alors à régler fut celle de la situation religieuse des colonies. Il
était urgent d'entreprendre certaines réformes pour remédier aux déficiences du
clergé colonial. Il élabora dans ce but un projet qu'il soumit au ministre des
Affaires religieuses et à la Propagande. Il rédigea aussi, en septembre 1850, un
mémoire concernant les évêchés coloniaux, sur les rapports des évêques avec le
pouvoir civil.
Il continuait pendant tout ce
temps à entretenir une correspondance suivie avec ses missionnaires. Dans ses
voyages à travers la France, il voyait que beaucoup de pauvres y étaient aussi
abandonnés qu'en pays de mission. Si les troubles de la Révolution de 1848, le
fardeau supplémentaire résultant de la fusion avec les Spiritains et sa mort
prématurée en 1852, ne lui permirent pas de réaliser tous ses plans, il fit en
sorte que la congrégation commençât à s'occuper d'action sociale et religieuse
parmi les manoeuvres et les employés d'Amiens, de Bordeaux et de Paris.
Les derniers mois
En mai 1851, après un séjour de
deux mois à Notre-Dame du Gard, de retour à Paris, il rédigea ses Instructions
aux missionnaires, cahier de soixante-quatre pages, qui est son testament
spirituel.
À la fin de l'année 1851, le P.
Libermann se plaignait assez souvent d'une grande fatigue. Sa santé, qui avait
toujours été précaire, se détériora rapidement. En décembre, il était de nouveau
à Notre-Dame du Gard, mais il passa presque toujours au lit ce séjour de deux ou
trois semaines. Revenu à la Maison Mère, il dut garder la chambre. Le Père Le
Vavasseur écrivit alors à son frère, le docteur Libermann: C'est à peu près la
même maladie qu'il y a trois ans. Il ne peut pratiquement rien prendre. Il est
dans une diète presque complète.
Le 27 janvier 1852, on lui
administra l'extrême-onction. Le 30 janvier au soir, devant la communauté
rassemblée pour l'adieu suprême, il prononça péniblement quelques mots Je vous
vois pour la dernière fois. Je suis heureux de vous voir. Sacrifiez-vous pour
Jésus, pour Jésus seul. Dieu c'est tout. L'homme n'est rien. Esprit de
sacrifice, zèle pour la gloire de Dieu et les âmes.
Son agonie dura jusqu'au 2
février. Il expira vers 3 heures de l'après-midi, au moment même où, dans la
chapelle voisine, on chantait le Magnificat des vêpres solennelles de la fête de
la Purification de Marie. L'abbé de Ségur fit de lui un portrait sur son lit de
mort, portrait qui est le plus ressemblant de ceux que l'on possède. Ses
obsèques eurent lieu dans la chapelle de la maison mère. M. l'abbé Desgenettes
chanta la messe et donna l'absoute.
Son corps fut transporté à
Notre-Dame du Gard, d'où il fut transféré à Chevilly quelques années plus tard
(1865). Il est, depuis 1967, dans la chapelle de la Maison Mère de la
Congrégation du Saint-Esprit.
À la Maison Mère, la chambre qu'il
occupait au moment de sa mort est devenue l'Oratoire Libermann, à côté de son
bureau, que l'on a gardé en l'état.
Le décret d'héroïcité des vertus
du serviteur de Dieu, déclarant Vénérable le Père François Libermann, fut publié
le 19 juin 1910.
Jean Ernoult,
spiritain
http://www.spiritains.qc.ca/Historique/libermann.htm
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